Le combat sceptique : Pourquoi lutter ?

Dans mon article d’introduction, “Je suis un sceptique”, j’ai notamment présenté le scepticisme comme un combat, motivé entre autres par “le coût des croyances”. Il est temps d’expliciter un peu ce propos, d’expliquer pourquoi je me bats, ce qui me pousse.

Remarque : Cet article ne se veut pas, en soi, une démonstration de la nécessité du mouvement sceptique. Il est avant tout une image des raisons qui motivent mon engagement. Il est donc subjectif par essence, et inclut ce que l’on considérerait comme des appels aux émotions dans un contexte de persuasion. En effet, si la démarche sceptique se doit de ne faire appel qu’à la raison, l’émotion peut jouer son rôle dans la motivation.

Attention : Cet article présente notamment ce qui m’a le plus choqué. Bien que les affaires en questions ne soient que succinctement présentées, j’invite les plus sensibles à ne pas continuer la lecture.

Pourquoi le scepticisme ? Pourquoi un tel engagement ? Pourquoi passer mes heures libres à tenter de prévenir, informer, révéler les sophismes, souligner les biais ? Pourquoi m’acharner à disserter de la validité de tel ou tel argumentaire ?

Selon certains interlocuteurs, c’est clairement parce que je suis un connard prétentieux, qui prend un malin plaisir à attaquer les croyances d’autrui et à afficher ses connaissances. Selon d’autre, je suis bien évidemment payé par Big Pharma, Big Oil, Monsanto, les illuminatis et/ou le gouvernement pour dissimuler la vérité. Moi, parfois, je me dis que c’est pour le plaisir de découvrir, au détour de mes recherches, de nouveaux phénomènes fascinants. Quelle joie que d’apprendre ! Ou je me raconte que c’est pour la beauté de l’art, l’apologie de la méthode scientifique, l’importance du vrai.

Mais au fond, je sais surtout que je ne peux plus arrêter. Ce n’est plus une question de plaisir, c’est une question de devoir. La vérité, c’est que les pseudo-sciences, les croyances infondées, les charlatans, ou même les biais naturels couplés à un manque d’esprit critique, font payer un lourd tribu aux hommes et à la société. Ma vérité, c’est la ruine, la détresse, la souffrance, la mort… des maux que l’on pourrait limiter par une meilleure hygiène mentale et une meilleure culture.

Médecines alternatives : une confiance fatale

Les remèdes miracles du Far West n'ont pas vraiment disparu…

Bien évidemment, la première chose qui vient à l’esprit, ce sont les promesses de traitements alternatifs qui pullulent sur le net. Confiants, certains essaient. Souvent, ils y perdent du temps et de l’argent. Parfois, ils y perdent bien plus.

Achetable sur internet pour 59,95$ ou réalisable soi-même, le baume noir (black salve ou Cansema), par exemple, promet de soigner les cancers de la peau. Cette pommade entièrement naturelle, à base de sanguinaire du Canada (Sanguinaria canadensis), est en effet particulièrement efficace pour détruire les tumeurs. Et pour cause : elle détruit les cellules et laisse sur l’utilisateur un trou béant. Évidemment, parfois, la tumeur est éliminée avec succès et la plaie ne laissera qu’une cicatrice. Parfois, on y perd son nez ou finit avec un trou de 2,5 cm de large sur la tempe. Toujours, une opération chirurgicale est plus fiable et présente moins de risques. (Voir l’article sur Quackwatch, âmes sensibles s’abstenir.)

Il n’est même pas besoin de croire en d’obscures sites internet anonymes pour mettre sa vie en danger. Sa vie, ou celle de ses enfants. En 2006, un ancien ingénieur en aérospatial, Jim Humble, publie un livre dans lequel il présente un remède miracle : la Miracle Mineral Solution (MMS). Il promet de soigner la malaria, le SIDA, les hépatites, le virus H1N1, le cancer, et même l’autisme. Cette dernière application convainc plusieurs parents. Or, comme l’explique la FDA, le traitement suggéré consiste en pratique à boire régulièrement de l’eau de javel industrielle. (Voir l’article de Emily Willingham, âmes sensibles s’abstenir) Le MMS est toujours d’actualité. *

La dernière séance de Candace Newmaker

Extrait traduit de “Death by Theory” de Michael Shermer :

“En un jour, ils ont attrapé ou couvert le visage de Candace 138 fois, secoué ou poussé sa tête 392 fois et crié devant son visage 133 fois. Alors que ces action échouaient à la briser, ils ont mis l’enfant de 30 kg dans un drap de flanelle et l’ont couverte de coussins, tandis que plusieurs adultes (avec un poids cumulé de presque 320 kg) se plaçaient dessus de sorte qu’elle puisse “renaître”. On rapporte que Ponder aurait dit à la fille d’imaginer qu’elle était “un petit bébé” dans le ventre, la commandant de “sortir tête la première”. En réponse, Candance a crié “Je ne peux pas respirer, je ne peux pas le faire ! … Il y a quelqu’un sur moi … Je veux mourir maintenant ! S’il vous plait ! De l’air !”

Selon l’AT (attachment therapy), la réaction de Candace était un signe de sa résistance émotionnelle, appelant à plus de confrontation pour atteindre la guérison émotionnelle. L’ACE (Attachment Center at Evergreen, opérant maintenant en tant que Attachment and Child Development) affirme que la “la confrontation est parfois nécessaire pour passer les défenses de l’enfant et atteindre l’enfant douloureux à l’intérieur.” Mettant la théorie en pratique, Ponder sermonnait : “Tu vas mourir.” La fille suppliait : “S’il vous plait, s’il vous plait, je ne peux pas respirer.” Puis elle a vomi et pleuré “Je vais faire caca.” Ponder a ordonné aux autres d’“appuyer plus sur le dessus”, postulant que de tels enfants exagéraient leur détresse. La mère a supplié : “Je sais que c’est dur, mais je t’attends.”

Après 40 minutes de lutte, Candace est devenue silencieuse. Ponder l’a réprimandée : “Lâcheuse, lâcheuse !” […] Après 30 minutes de silence, Watkins a fait la remarque : “Regardons cette crétine et voyons ce qu’il se passe. Y a-t-il un enfant quelque part ? Tu es là, dans ton vomi. N’es-tu pas fatiguée ?”

Candace n’était pas fatigué ; elle était mort.”

On pourrait croire que l’absence de produit induit une absence de risque : il n’en est rien. Aux États-Unis sont parfois pratiquées des “thérapies d’attachement” (attachment therapy). Destinées à des enfants “difficiles”, généralement adoptés, elles sont le plus souvent assimilables à de la maltraitance. Elles consistent typiquement à briser l’enfant moralement, de sorte qu’il s’attache ensuite au parent alors que ce dernier se montre protecteur et accueillant. Immobiliser l’enfant, ne pas le nourrir, demander une soumission totale… les techniques sont diverses. Au-delà des dégâts psychologiques, on compte au moins 7 décès liés à ces thérapie. Le cas le plus emblématique est sûrement celui de Candace Newmaker, décédée sous des couvertures compressées par quatre adultes, lors d’une session de “renaissance” de 70 minutes. *

Un vrai kit de premier secours homéopathique, pour soigner réactions allergiques, saignements, fractures, brûlures, étouffements, … Hum.

Évidemment, ces cas sont extrêmes. D’autres médecines alternatives sont bien moins dangereuses… en apparence tout du moins. On trouve dans la littérature scientifique une française et cinq suédois ayant contracté la Malaria lors de voyages en Afrique. C’eut pu être évité s’ils n’avaient pas préféré aux médicaments préventifs classiques une alternative homéopathique. Contentons-nous d’écouter le corps médical ? En 2004, un médecin londonien conseille à sa patiente de 57 ans d’arrêter son traitement pour le cœur, au profit d’une solution homéopathique. Quelques jours après, du fait de l’arrêt de son traitement, la patiente décède d’une insuffisance cardiaque aiguë. (BBC News, The Guardian)

Car oui, l’absence de traitement aussi tue. Faire guérir sa tumeur par méditation, c’est se condamner à affronter les complications liées à un cancer. S’acharner dans les médecines alternatives, c’est mettre en jeu sa vie. Même Steve Jobs semble en avoir fait les frais.

Des innocents sacrifiés

Il serait bien mal inspiré de croire que les pseudo-sciences, les croyances, le charlatanisme, ne soient qu’un problème de santé publique. Par exemple, la récupération peu fiable de souvenirs refoulés, typiquement via l’hypnose, a mené à quantité de faux témoignages et à la condamnation de nombreux innocents.

Personnellement, j’étais particulièrement surpris de découvrir l’impact des moteurs à énergie libre. Je croyais ces générateurs chimériques, promettant de fournir une énergie illimitée, cantonnés à quelques garages, forums et vidéos youtube. Je reprochais au phénomène de favoriser les théories du complot, et constituer une perte de temps pour les inventeurs et autres travaillant à faire de ce monde un monde meilleur. Je fus enragé de découvrir que de telles promesses (parfois de bonne volonté, parfois non) permettaient de récolter des milliers de dollars sur des plateforme de crowd-funding (par exemple 18 000 $ ici). Ces fonds sont donnés dans un but humanitaire. C’est d’autant plus flagrant quand plus de 8 000 $ ont été perdu pour tenter d’amener une telle technologie dans un village marocain.

Les théories du complot ne sont bien sûr pas en reste en terme d’impact. Daniel Jolley et Karen Douglas ont montré, comme on pouvait s’en douter, que l’exposition aux théories conspirationnistes impliquant les gouvernements réduit le désir d’engagement dans la vie politique (et notamment la motivation à voter). Par ailleurs, de telles théories sont classiquement utilisées pour justifier certaines pseudo-sciences. Typiquement, on invoque Big Pharma pour expliquer la méconnaissance d’un traitement alternatif quelconque malgré les pouvoirs qu’on lui attribue. Enfin, l’Histoire montre comment les théories du complot peuvent avoir des conséquences humaines dramatiques. Le président d’Afrique du Sud Thabo Mbeki, considérant que l’existence du VIH était un mensonge occidental visant à tuer les africains par trithérapie, a mené une politique négationniste vis-à-vis du VIH. Le coût humain est estimé à au moins 333 000 vies.

L'ADE651 : chercher (malgré soi) des explosifs avec un bâton de sourcier

C’est loin d’être l’unique fois que la population d’un pays paie cher le choix de quelques uns. Durant les années 2008-2009, l’Irak (comme 19 autres pays) se dote d’ADE651 : des appareils permettant de détecter à distance de nombreux objets et substances, notamment des explosifs. 52 millions de livres sont dépensées pour acquérir 1500 appareils. Mais ces appareils ne fonctionnent pas, et n’ont aucune chance de marcher : ils sont fondamentalement des bâtons de sourciers camouflés sous une apparence high-tech. Malgré les doutes émis de part et d’autre (entre autre par les experts israéliens et par James Randi), l’utilisation de l’appareil remplace les contrôles systématiques des véhicules aux divers checkpoints à Bagdad. Cela permet notamment les attentats de Bagdad des 25 octobre et 8 décembre 2009, faisant à eux seuls au moins 282 morts et 1161 blessés.

En conclusion

Pourquoi la lutte ? Pourquoi un mouvement sceptique ? Pour promouvoir les sciences, pour éduquer, pour enseigner la méthode scientifique, pour développer l’esprit critique, pour protéger et apprendre à se protéger, pour des débats sociaux plus sains, …

Mais, d’un point de vu individuel, cela ne suffit pas toujours à motiver les efforts. Quand rien ne bouge, quand on se dit qu’on n’est qu’une goutte face à un océan de fausseté dont les vagues charrient chaque jour leur lot d’erreurs, d’arnaques et de drames, il peut devenir difficile de sacrifier ses heures de temps libre. Alors pourquoi lutté-je, encore ? Bien sûr, il y a du plaisir. Parfois, je m’amuse. Souvent, durant mes recherches, je fais des découvertes fascinantes, qu’il s’agisse de phénomènes physiques ou de biais cognitifs. Surtout, quand j’envisage de jeter l’éponge, il y a les victimes directes ou non, passées, présentes et futures. Si ce n’est pas pour elles que j’ai commencé, c’est pour elles que, toujours, je continue.

* Ces cas m’ayant particulier affecté, j’ai décidé pour le lecteur de ne pas les développer plus ici. Ils seront éventuellement le sujet d’articles dédiés.

Sur le sujet…

4 pensées sur “Le combat sceptique : Pourquoi lutter ?”

  1. merci pour cet article que je trouve, à titre personnel, nécessaire et indispensable dans une démarche d’honnêteté intellectuelle.
    De plus, même si chacun a son propre parcours, je pense que nombre d’exemples cités ici sont très pertinent et pourront être utiles (et utilisés en formation … en citant la source !).
    Très cordialement,

  2. Bonjour,
    Je me permets d’émettre une critique assez sommaire de cet article.
    Tout ça ma l’air un peu dérisoire : quelques exemples de cas où l’ignorance conduit à des drames, certes, mais cela reste assez marginal il me semble.
    Bref, je ne prends pas le temps de développer, ce serait très long. Toutefois, j’apprécie très fortement votre blog.
    Cordialement.

  3. Bonjour Candy,
    Petite réaction suite votre intervention où vous indiquez que, bien que l’ignorance a pu mener à des drames, cela serait resté « assez marginal ».
    Je m’inscris en faux sur ce point. A mon sens l’ignorance est depuis fort longtemps source d’erreur ayant des conséquences dramatiques. L’on peut notamment penser aux nombreuses épidémies qui ont frappées notre histoire faisant des millions de morts sans que nous sachions les endiguer, aux méthodes de production de nourritures hasardeuses et parfois fluctuantes voir insuffisantes pour les besoins des populations qui menèrent à des famines ravageuses, et aux décisions absurdes dues à des manques de connaissances scientifiques qui mènent à empirer les situations qu’elles étaient censées traiter (introduction d’espèces exotiques, estimation erronée de la nocivité de diverses substances) qui sont encore prises aujourd’hui.
    Je ne prêtant nullement que le « simple » fait de générer, de communiquer, de promouvoir et d’utiliser un savoir scientifique rigoureux et étayé suffirait éviter toute prise de décision entraînant des conséquences néfastes envers le monde, l’humanité en générale ou sur des individus. Et ce, pour la simple et bonne raison que l’éthique et la connaissance sont deux choses indépendantes. La science est un moyen d’acquérir ces connaissances, c’est ensuite à « nous » de décider ce qu’il est bon d’en faire, et il existe nombre de facteurs pouvant mener à des décisions éthiquement reprochables que ce soit des intérêts financiers, politiques ou encore l’ambition destructrice de certaines personnes, et ce, au dépend des autres.
    Mais je reste persuader que pour répondre à nombre de grand défi qui nous reste à relever dans les prochaines décennies, et où il est primordial de savoir estimer au plus justes les impacts de nos actes (et oui, je pense ici notamment au changement climatique, mais pas que) c’est justement sur cette connaissance que certain s’acharne – comme ici – à favoriser et à transmettre qu’il faudra se baser.
    Mais je suis bien sûr prêt à changer d’avis là-dessus pour peu que l’on m’apporte des arguments pertinents. Je suis sceptique.

  4. Tenter de démasquer les charlatans (notamment dans la médecine), c’est louable.

    De là à dire que à dire que la démarche sceptique est un « combat » ? Le militantisme est-il soluble dans le scepticisme ?

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